Sud-Kivu : Des arrangements à l’amiables, l’une des causes de la persistance des violences sexuelles
Dans un pays où les allocations sociales sont pratiquement inexistantes et où la solidarité familiale est devenue une question de survie, les survivantes des violences sexuelles se retrouvent souvent sans recours. Dans la ville de Bukavu, en province du Sud-Kivu à l’Est de la République démocratique du Congo (RDC), des survivantes femmes mariées sont répudiées par leurs maris, des filles stigmatisées et des familles qui les rejettent. Par peur de se retrouver sans soutien matériel et émotionnel, plusieurs survivantes préfèrent se taire ou recourir à l’arrangement à l’amiable, une pratique qui favorise l’impunité des auteurs.
On est dans la ville de Bukavu où Mapenzi (nom d’emprunt), victime de l’exploitation sexuelle, a vu sa situation réglée à l’amiable entre sa Tante et son bourreau à la place de la justice, il y a 8 ans. Pour elle, c’est une histoire qui ne devrait pas être réglée par de l’argent car au lieu d’arranger la situation cela l’a victimisé doublement.
“Quand ma mère était morte, j’étais obligé d’aller vivre chez l’une de mes tantes. Par malheur, il y avait toujours des disputes entre moi et mes cousines. Elles ne voulaient pas de moi. C’est comme ça que j’ai jugé bon de quitter la maison et aller me débrouiller pour survivre. Je n’avais que 15 ans. Mais avec ma corpulence, on pouvait me donner même au-delà de 20 ans” révèle Mapenzi.
“En quittant la maison alors que j’étais adolescente, je me suis retrouvée tout de suite dans une relation professionnelle abusive et violente où j’ai failli y laisser ma vie. J’ai été prise comme fille de chambre dans une maison de tolérance de la place… je devrais coucher régulièrement avec le propriétaire de cette maison. A part ça, avant d’avoir les rapports sexuels avec lui, je devais me droguer parce qu’il m’obligeait certaine pratique étrange comme la sodomie, la fellation, … Sans comprendre vraiment ce qui se passait, je ressentais un grand malaise que je ne pouvais nommer. J’étais trop petite pour comprendre ou expliquer ce qui se passait”, regrette-t-elle avec les larmes aux yeux.
“J’ai décidé de me confier à l’un de mes collègues de service. Un papa qui avait un œil de pitié envers moi. Il voulait souvent me parler mais j’étais méfiante. Ce jour-là j’étais bouleversé. Il m’a demandé de traduire le patron en justice pour qu’on l’oblige à me dédommager et là j’aurais le moyen de transport et l’argent de poche qui me permettraient de rentrer chez moi… le même papa est partie en parler à ma tante. Du coup, je l’ai vu débarquer dans tous ses états. Elle a été accueillie par le boss… On m’a appelé, j’ai témoigné le fait. Puis il a remis une enveloppe à ma tante pour étouffer l’affaire. Ma tante m’a repris à la maison. Je suis devenu un sujet de moquerie. Tout le quartier était au courant et pensait que j’avais menti pour mon patron. Je quittais difficilement la chambre… après, ma tante a décidé de me ramener chez nous au village”, regrette Mapenzi toute bouleversée.
“J’ai maintenant 23 ans. Mais je n’ai pas oublié cette histoire. Je rêve d’y revenir. Me venger. Je souffrais de l’abandon. Je recherchais de l’attention et je manquais cruellement d’amour. Ça ne pouvait pas passer inaperçu… ça ne devrait pas s’arranger avec une enveloppe dont moi-même je n’ai pas été bénéficiaire…”, se révolte-t-elle.
Impunité et stigmatisation
Jolly Kamuntu, présidente de l’organisation Karibu Jeunesse Nouvelle (KJN), regrette de voir que les survivantes de violences sexuelles continuent à être marginalisées au sein de leur communauté sans protection et sans soutien moral, ceci au vu et au su des autorités compétentes.
« Nous savons que ces cas d’arrangements à l’amiable sont fréquents dans différents coins de la province du Sud-Kivu. Les survivant(e)s de violences sexuelles nécessitent un encadrement spécial et une aide holistique et non les marginaliser. Ils ne doivent pas être stigmatisés. Au contraire, nous devons les accompagner, les aider, les orienter dans une structure appropriée pour le soutien psychologique, l’aide financière et un bon accès à une bonne justice »indique Jolly Kamuntu.
De son côté, maitre Justin Bahirwhe, coordonnateur de l’organisation travaillant sur l’effectivité des droits humains, SOS Information Juridique Multisectorielle, SOS IJM asbl, fait savoir que l’arrangement à l’amiable n’est pas une bonne voie dans l’affaire de viol. Il ajoute que la loi reconnaît à la survivante d’une des formes des violences sexuelles le plein droit d’être remis dans ses droits à travers la décision judiciaire. Et, cela dans une période ne dépassant pas quatre (4) mois et deux jours.
Ce dernier déplore le fait que certains officiers de police judiciaire & OPJ & ne sont pas suffisamment informés sur le viol qui n’est pas une affaire à traiter à l’amiable mais plutôt traiter par la justice qui a le monopole de trancher sur le dossier.
« (…) La loi prévoit qu’en cas de procès sur le viol, la victime doit être accompagnée par un psychologue pour qu’elle comprenne la situation qui lui est arrivée, faire comprendre à la famille de la victime qu’elle n’a en aucun cas le droit de transiger à travers l’argent, les chèvres, vaches, etc. L’auteur doit subir la rigueur de la loi et la victime doit avoir droit aux dommages et intérêts”, explique maître Justin Bahirwe.
Selon la loi, “tout acte ou toute transaction ayant trait au trafic ou à l’exploitation d’enfants ou de toute personne à des fins sexuelles moyennant rémunération ou un quelconque avantage constitue une infraction punie de dix à vingt ans de servitude pénale”, souligne l’article 174 J de la loi sur les violences sexuelles.
Jolly Kamuntu regrette aussi que les acteurs judiciaires encouragent les familles aux règlements à l’amiable des affaires liées aux violences sexuelles.
“ Ces arrangements sont non seulement une affaire de la famille, mais aussi et surtout commencent à être encouragés par les acteurs judiciaires”, s’inquiète-t-elle.
Ce que rejette le major Marcel Cibangu, commandant de la police de protection de l’enfant et de la prévention des violences sexuelles au Sud-Kivu.
“C’est juste quand les deux parties, d’un côté la famille du bourreau et de l’autre côté la famille de la victime se décident d’arranger et que l’une des parties ne respecte pas les clauses, surtout la famille du bourreau, que la famille de la victime vient se plaindre chez nous avec retard. Dire que les OPJ encouragent des arrangements à l’amiable c’est trop dire. Peut-être pour les unités de la police qui n’ont pas subi suffisamment de formations qui se heurtent à la défaillance dans la collecte des preuves » a-t-il indiqué.
Ainsi, pour faire face à cette pratique, des défenseurs de droit de l’homme pensent que l’autorité de l’Etat doit être élargie et pousser la justice à bien jouer son rôle. Ces derniers ajoutent que des familles des victimes devraient cesser de recourir à ces pratiques sous prétexte de sauvegarder leur honneur au détriment de leurs filles qui voient leurs droits être bafoués.
Ils appellent aussi la communauté à comprendre que les survivantes de violence sexuelles ont besoin de l’accompagnement pour recouvrer leurs droits et dignité.
Rachel Rugarabura/JDH/Mama Radio
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